Gautier, 1811-1872

Lundi 28 septembre 1 28 /09 /Sep 15:00



Tout amoureux, de sa maîtresse,

Sur son coeur ou dans son tiroir,
Possède un gage qu'il caresse
Aux jours de regret ou d'espoir.

L'un d'une chevelure noire,
Par un sourire encouragé,
A pris une boucle que moire
Un reflet bleu d'aile de geai.

L'autre a, sur un cou blanc qui ploie,
Coupé par derrière un flocon
Retors et fin comme la soie
Que l'on dévide du cocon.

Un troisième, au fond d'une boîte,
Reliquaire du souvenir,
Cache un gant blanc, de forme étroite,
Où nulle main ne peut tenir.

Cet autre, pour s'en faire un charme,
Dans un sachet, d'un chiffre orné,
Coud des violettes de Parme,
Frais cadeau qu'on reprend fané.

Celui-ci baise la pantoufle
Que Cendrillon perdit un soir;
Et celui-ci conserve un souffle
Dans la barbe d'un masque noir.

Moi, je n'ai ni boucle lustrée,
Ni gant, ni bouquet, ni soulier,
Mais je garde, empreinte adorée,
Une larme sur un papier:

Pure rosée, unique goutte,
D'un ciel d'azur tombée un jour,
Joyau sans prix, perle dissoute
Dans la coupe de mon amour!

Et, pour moi, cette obscure tache
Reluit comme un écrin d'Ophyr,
Et du vélin bleu se détache,
Diamant éclos d'un saphir.

Cette larme, qui fait ma joie,
Roula, trésor inespéré,
Sur un de mes vers qu'elle noie,
D'un oeil qui n'a jamais pleuré!
Par Sensualitesetdouceurs - Publié dans : Gautier, 1811-1872
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Lundi 28 septembre 1 28 /09 /Sep 14:51
                                                   Peinture: Albert Joseph Peunot "La nue d'or"


A l'horizon monte une nue,

Sculptant sa forme dans l'azur:
On dirait une vierge nue
Émergeant d'un lac au flot pur.

Debout dans sa conque nacrée,
Elle vogue sur le bleu clair.
Comme une Aphrodite éthérée,
Faite de l'écume de l'air;

On voit onder en molles poses
Son torse au contour incertain,
Et l'aurore répand des roses
Sur son épaule de satin.

Ses blancheurs de marbre et de neige
Se fondent amoureusement
Comme, au clair-obscur du Corrège
Le corps d'Antiope dormant.

Elle plane dans la lumière
Plus haut que l'Alpe ou l'Apennin;
A son corps, en vain retenue,
Sur l'aile de la passion,
Mon âme vole à cette nue
Et l'embrasse comme Ixion.

La raison dit: « Vague fumée,
Où l'on croit voir ce qu'on rêva,
Ombre au gré du vent déformée,
Bulle qui crève et qui s'en va! »

Le sentiment répond : « Qu'importe!
Qu'est-ce, après tout que la beauté,
Spectre charmant qu'un souffle emporte
Et qui n'est rien, ayant été!

A l'Idéal ouvre ton âme;
Mets dans ton coeur beaucoup de ciel,
Aime une nue, aime une femme,
Mais aime! - C'est l'essentiel! »
Par Sensualitesetdouceurs - Publié dans : Gautier, 1811-1872
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Jeudi 3 septembre 4 03 /09 /Sep 09:56







Madrigal panthéiste

Dans le fronton d'un temple antique,
Deux blocs de marbre ont, trois mille ans,
Sur le fond bleu du ciel attique
Juxtaposé leurs rêves blancs ;

Dans la même nacre figées,
Larmes des flots pleurant Vénus,
Deux perles au gouffre plongées
Se sont dit des mots inconnus ;

Au frais Généralife écloses,
Sous le jet d'eau toujours en pleurs,
Du temps de Boabdil, deux roses
Ensemble ont fait jaser leurs fleurs ;

Sur les coupoles de Venise
Deux ramiers blancs aux pieds rosés,
Au nid où l'amour s'éternise
Un soir de mai se sont posés.

Marbre, perle, rose, colombe,
Tout se dissout, tout se détruit ;
La perle fond, le marbre tombe,
La fleur se fane et l'oiseau fuit.

En se quittant, chaque parcelle
S'en va dans le creuset profond
Grossir la pâte universelle
Faite des formes que Dieu fond.

Par de lentes métamorphoses,
Les marbres blancs en blanches chairs,
Les fleurs roses en lèvres roses
Se refont dans des corps divers.

Les ramiers de nouveau roucoulent
Au coeur de deux jeunes amants,
Et les perles en dents se moulent
Pour l'écrin des rires charmants.

De là naissent ces sympathies
Aux impérieuses douceurs,
Par qui les âmes averties
Partout se reconnaissent soeurs.

Docile à l'appel d'un arome,
D'un rayon ou d'une couleur,
L'atome vole vers l'atome
Comme l'abeille vers la fleur.

L'on se souvient des rêveries
Sur le fronton ou dans la mer,
Des conversations fleuries
Prés de la fontaine au flot clair,

Des baisers et des frissons d'ailes
Sur les dômes aux boules d'or,
Et les molécules fidèles
Se cherchent et s'aiment encor.

L'amour oublié se réveille,
Le passé vaguement renaît,
La fleur sur la bouche vermeille
Se respire et se reconnaît.

Dans la nacre où le rire brille,
La perle revoit sa blancheur ;
Sur une peau de jeune fille,
Le marbre ému sent sa fraîcheur.

Le ramier trouve une voix douce,
Echo de son gémissement,
Toute résistance s'émousse,
Et l'inconnu devient l'amant.

Vous devant qui je brûle et tremble,
Quel flot, quel fronton, quel rosier,
Quel dôme nous connut ensemble,
Perle ou marbre, fleur ou ramier
Par Noor Delice - Publié dans : Gautier, 1811-1872
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Mardi 11 août 2 11 /08 /Août 22:37





Le poème de la femme Marbre de Paros
 
Un jour, au doux rêveur qui l'aime,
En train de montrer ses trésors,
Elle voulut lire un poème,
Le poème de son beau corps.
 
D'abord, superbe et triomphante
Elle vint en grand apparat,
Traînant avec des airs d'infante
Un flot de velours nacarat :
 
Telle qu'au rebord de sa loge
Elle brille aux Italiens,
Ecoutant passer son éloge
Dans les chants des musiciens.
 
Ensuite, en sa verve d'artiste,
Laissant tomber l'épais velours,
Dans un nuage de batiste
Elle ébaucha ses fiers contours.
 
Glissant de l'épaule à la hanche,
La chemise aux plis nonchalants,
Comme une tourterelle blanche
Vint s'abattre sur ses pieds blancs.
 
Pour Apelle ou pour Cléoméne,
Elle semblait, marbre de chair,
En Vénus Anadyomène
Poser nue au bord de la mer.
 
De grosses perles de Venise
Roulaient au lieu de gouttes d'eau,
Grains laiteux qu'un rayon irise,
Sur le frais satin de sa peau.
 
Oh ! quelles ravissantes choses,
Dans sa divine nudité,
Avec les strophes de ses poses,
Chantait cet hymne de beauté !
 
Comme les flots baisant le sable
Sous la lune aux tremblants rayons,
Sa grâce était intarissable
En molles ondulations.
 
Mais bientôt, lasse d'art antique,
De Phidias et de Vénus,
Dans une autre stance plastique
Elle groupe ses charmes nus.
 
Sur un tapis de Cachemire,
C'est la sultane du sérail,
Riant au miroir qui l'admire
Avec un rire de corail ;
 
La Géorgienne indolente,
Avec son souple narguilhé,
Etalant sa hanche opulente,
Un pied sous l'autre replié.
 
Et comme l'odalisque d'Ingres,
De ses reins cambrant les rondeurs,
En dépit des vertus malingres,
En dépit des maigres pudeurs !
 
Paresseuse odalisque, arrière !
Voici le tableau dans son jour,
Le diamant dans sa lumière ;
Voici la beauté dans l'amour !
 
Sa tête penche et se renverse ;
Haletante, dressant les seins,
Aux bras du rêve qui la berce,
Elle tombe sur ses coussins.
 
Ses paupières battent des ailes
Sur leurs globes d'argent bruni,
Et l'on voit monter ses prunelles
Dans la nacre de l'infini.
 
D'un linceul de point d'Angleterre
Que l'on recouvre sa beauté :
L'extase l'a prise à la terre ;
Elle est morte de volupté !
 
Que les violettes de Parme,
Au lieu des tristes fleurs des morts
Où chaque perle est une larme,
Pleurent en bouquets sur son corps !
 
Et que mollement on la pose
Sur son lit, tombeau blanc et doux,
Où le poète, à la nuit close,
Ira prier à deux genoux.

                                                                                



                                                                                       Théophile Gauthier

Par Noor Delice - Publié dans : Gautier, 1811-1872
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Samedi 1 août 6 01 /08 /Août 21:10







A travers les soupirs, les plaintes et le râle

Poursuivons jusqu'au bout la funèbre spirale
De ses détours maudits.
Notre guide n'est pas Virgile le poëte,
La Béatrix vers nous ne penche pas la tête
Du fond du paradis.
 
Pour guide nous avons une vierge au teint pâle
Qui jamais ne reçut le baiser d'or du hâle
Des lèvres du soleil.
Sa joue est sans couleur et sa bouche bleuâtre,
Le bouton de sa gorge est blanc comme l'albâtre,
Au lieu d'être vermeil.
 
Un souffle fait plier sa taille délicate ;
Ses bras, plus transparents que le jaspe ou l'agate,
Pendent languissamment ;
Sa main laisse échapper une fleur qui se fane,
Et, ployée à son dos, son aile diaphane
Reste sans mouvement.
 
Plus sombres que la nuit, plus fixes que la pierre,
Sous leur sourcil d'ébène et leur longue paupière
Luisent ses deux grands yeux,
Comme l'eau du Léthé qui va muette et noire,
Ses cheveux débordés baignent sa chair d'ivoire
A flots silencieux.
 
Des feuilles de ciguë avec des violettes
Se mêlent sur son front aux blanches bandelettes,
Chaste et simple ornement ;
Quant au reste, elle est nue, et l'on rit et l'on tremble
En la voyant venir ; car elle a tout ensemble
L'air sinistre et charmant.
 
Quoiqu'elle ait mis le pied dans tous les lits du monde,
Sous sa blanche couronne elle reste inféconde
Depuis l'éternité.
L'ardent baiser s'éteint sur sa lèvre fatale,
Et personne n'a pu cueillir la rose pâle
De sa virginité.

                                                                                                                                                            Théophile Gauthier
Par Noor Delice - Publié dans : Gautier, 1811-1872
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